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Changements climatiques : Ottawa veut éviter des effondrements de ponts


Environ 40 % des ponts au pays nécessitent des réparations et les changements climatiques vont accélérer leur dégradation. Devant l’urgence de la situation, le gouvernement fédéral développe de nouvelles balises d’entretien et de construction. Le but : éviter des tragédies.

La conséquence de l’effondrement d’un pont, c’est des morts et des blessures, c’est sérieux, c’est pas comme les autres infrastructures, on parle de la sécurité du public, lance Zoubir Lounis, chercheur principal au Centre de recherche en construction du Conseil national de recherches du Canada (CNRC).

Tenir compte des changements climatiques, ce n’est pas un luxe, c’est une nécessité, pointe l’ingénieur mondialement reconnu qui se penche sur la question depuis environ 10 ans.

Photomontage d'une personne devant le pont Pierre-Laporte.

Près de la moitié des ponts sont mal en point

Photo : Radio-Canada

Dans ses recherches, Zoubir Lounis, constate qu’au lieu d’avoir une durée de vie de 75 ans, les ponts nécessiteront des réhabilitations majeures après 40 ans.

Lorsque la température augmente, ça accélère la détérioration des structures en béton, des structures en acier, donc il faut bien se préparer à ça.

Une citation de Zoubir Lounis, chercheur principal au Centre de recherche en construction du Conseil national de recherches du Canada

Les infrastructures de l’est du pays pourraient particulièrement être mises à mal, selon le professeur d’hydro-climatologie à l’Université du Québec à Montréal, Philippe Gachon. Il prévoit que le climat va changer de façon vraiment drastique dans des villes comme Montréal, Ottawa et Toronto.

Les dégâts causés par la tempête Debby, qui est l’événement climatique le plus coûteux de l’histoire du Québec, sont un exemple, selon M. Gachon, qui témoigne de la fragilité des infrastructures actuelles face aux changements climatiques.

Absence de normes nationales

Parmi les quelque 53 000 ponts et tunnels recensés par Statistique Canada, il y a pas mal d’infrastructures qui sont dans de mauvaises ou très mauvaises conditions, qui ont besoin de réparations, avertit Zoubir Lounis.

Près de 40 % des ponts sont dans un état jugé très mauvais, mauvais ou passable, selon le plus récent Bulletin de rendement des infrastructures canadiennes, auquel plusieurs organisations ont collaboré, dont la Fédération canadienne des municipalités.

Les données publiques ne précisent pas de quels ponts il s’agit. Par courriel, une porte-parole du ministère de Services publics et Approvisionnement Canada, qui détient 77 ponts, indique que le gouvernement veut éviter que certaines informations soient utilisées de manière malicieuse pour justifier leur confidentialité.

L’entretien des ponts n’est pas toujours adéquat parce que les villes et les provinces ont des contraintes budgétaires, avance Zoubir Lounis. Il ne s’agit toutefois pas d’un problème canadien, c’est un problème mondial, précise-t-il.

La plupart des provinces et des villes, qui sont les principales propriétaires de ponts au pays, inspectent les ponts tous les deux ans, selon Zoubir Lounis : Mais on peut faire mieux.

Il croit que l’absence de règles fédérales uniformes pour tout le pays est un grand vide.

Pour combler ce manque, le CNRC prévoit publier cet automne un guide pour aider les différents ordres de gouvernements à être proactifs dans leur entretien.

Le pont Alexandra avec des voitures qui y circulent.

Le pont Alexandra, qui relie Gatineau et Ottawa, a été fermé à la circulation pendant plusieurs mois en raison d’une détérioration importante due à la corrosion. Un nouveau pont doit être construit pour le remplacer.

Photo : Radio-Canada / Olivier Plante

En plus des changements climatiques, ce guide tiendra aussi compte des répercussions économiques pour aider les gouvernements à faire une meilleure priorisation des ponts à réparer, dit M. Lounis.

Par exemple, la fermeture d’un pont comme le pont Pierre-Laporte à Québec, que le gouvernement caquiste de François Legault juge essentiel pour garantir la sécurité économique, aurait des répercussions beaucoup plus grandes que celle d’un petit pont en milieu rural.

Nul ne sera toutefois contraint de respecter le nouveau guide national d’entretien des ponts.

Cette municipalité qui ne veut plus être coupée en deux

En attendant la construction d’un nouveau pont au cœur de Saint-André-Avellin, en Outaouais, le maire Jean-René Carrière est sur le qui-vive chaque printemps et surveille la crue des eaux. On sent que tout arrive plus vite et plus intensément avec les changements climatiques.

Sa plus grosse crainte : revivre les inondations de 2019.

La rivière de la Petite Nation était sortie de son lit et avait forcé la fermeture du pont de la rue Principale. La municipalité avait été scindée en deux pendant une dizaine de jours.

Cette période avait été très incommodante, car d’importants détours ont dû être mis en place pour garantir l’accès aux services, comme le CLSC, l’épicerie, les pompiers, les policiers ou l’ambulance.

Le maire de Saint-André-Avellin, Jean-René Carrière, pose pour une photo à l'extérieur.

Après les inondations de 2019, 41 maisons ont dû être démolies à Saint-André-Avellin. « Ça a été très émotif, très difficile », se remémore le maire, Jean-René Carrière.

Photo : Radio-Canada / Nicolas Legault

Une partie du pont est encore fermée à la circulation pour limiter le poids des véhicules sur une poutre qui est endommagée, signale Jean-René Carrière.

La construction du nouveau pont a été retardée, notamment, pour que celui-ci soit plus résistant aux inondations. Actuellement, il y a des structures pour soutenir le centre du pont, l’eau monte, les arbres arrivent, donc ça crée un barrage, le nouveau pont n’aura plus de ça, donc tout va passer directement en dessous.

Un montage photo qui montre l'usure du pont de Saint-André-Avellin.

Le pont de Saint-André-Avellin a dépassé sa durée de vie de plusieurs années, selon le maire Jean-René Carrière.

Photo : Radio-Canada / Montage de photos de Nicolas Legault

Se projeter dans le futur

Par ailleurs, la nouvelle version du code canadien de construction des ponts, qui doit être publiée cet été, sera articulée pour la première fois autour de ce que l’ingénieur du CNRC, Zoubir Lounis appelle les données climatiques du futur.

Jusqu’à maintenant, le gouvernement fédéral mettait à jour le code en se fiant sur les données historiques.

Ce n’est plus valable avec les changements climatiques, indique le chercheur, car les charges climatiques auxquelles les infrastructures seront soumises seront de plus en plus grandes et fréquentes, comme les écarts de températures, l’accumulation de glace, les vents, les précipitations et les inondations.

Élaboré en fonction d’un scénario de réchauffement climatique intermédiaire, le nouveau code de construction des ponts influencera plusieurs éléments, comme la hauteur, la grosseur, la quantité et le choix des matériaux.

Le nouveau pont Champlain, au coucher du soleil.

Le code canadien de construction des ponts est mis à jour aux cinq ans.

Photo : Radio-Canada / Daniel Thomas

L’argent, le nerf de la guerre

Le professeur titulaire au Département des génies civil, géologique et des mines à l’École polytechnique de Montréal, Bruno Massicotte, estime que les gouvernements devraient investir davantage dans les infrastructures.

Il déplore que certains soient réticents, selon lui, à l’idée d’utiliser de nouvelles technologies ou de nouveaux matériaux, comme le béton fibré ultraperformant qu’il étudie depuis 20 ans. Il s’agit d’un béton à l’intérieur duquel on a intégré des fibres d’acier pour le rendre plus résistant.

Une craque dans le béton dans laquelle on voit des dizaines de fibres d'acier.

Bruno Massicotte estime que la durée de vie du béton fibré ultraperformant est deux fois plus grande que celle d’autres types de béton.

Photo : Radio-Canada / Estelle Côté-Sroka

Les catastrophes sont un peu le moteur de l’innovation, du changement, donc c’est difficile de convaincre les gens de payer de façon préventive [même si] c’est toujours plus économique, analyse M. Massicotte.

On gère le risque selon la disponibilité des budgets.

Une citation de Bruno Massicotte, professeur titulaire au Département des génies civil, géologique et des mines à l’École polytechnique de Montréal

L’exemple Suisse

Le professeur à l’École polytechnique de Montréal Bruno Massicotte, qui a témoigné devant la commission sur l’effondrement du viaduc de la Concorde, croit que le Canada pourrait s’inspirer de la Suisse, où la proportion des ponts en mauvais état est beaucoup moins élevée, selon les plus récentes données gouvernementales.

La clé du succès réside notamment dans l’entretien préventif, explique le professeur honoraire à l’École polytechnique fédérale de Lausanne et spécialiste des infrastructures, Eugen Brühwiler.

Comme avec le corps humain, la prévention, c’est la meilleure des choses. Il ne faut pas attendre d’être malade et de devoir aller à l’hôpital.

Une citation de Eugen Brühwiler, professeur honoraire à l’École polytechnique fédérale de Lausanne
Le viaduc de Chillon.

Le professeur honoraire à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, Eugen Brühwiler, estime que le béton fibré ultraperfomant a été utilisé à 500 endroits en Suisse depuis environ 20 ans, dont lors de la réfection du viaduc de Chillon situé dans l’Ouest du pays.

Photo : Getty Images / AFP

Pour ne pas tomber dans une situation où, pour des raisons politiques, il y a un gouvernement qui n’arrive pas à décider des priorités, il explique que le pays s’est doté de lois permettant de planifier la réparation et la construction d’infrastructures et d’y consacrer du financement garanti.

Mais avec les changements climatiques, Eugen Brühwiler prévient que la Suisse devra elle aussi demeurer vigilante et améliorer ses méthodes de surveillance.



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